mardi 19 novembre 2019

J'accuse, de Roman Polanski (CRITIQUE)


Déjà, loin de moi l'idée de polémiquer, de faire débat, d'hashtaguer à tout va. Loin de moi les débats faut-il séparer l'homme de l'artiste? Et si Hitler avait fait un film? Et si Guy George découvrait le vaccin contre le cancer? Et si Bertrand Cantat portait le voile 100% vegan? Les bourreaux restent des bourreaux, les coupables des coupables et les victimes des victimes. Depuis que je fais des chroniques sur internet, j'ai encensé Noir Désir et vomi Goebbels et son journal dans un article de feu Eclipshead. J'ose, j'accuse, je respire, je vis, je suis libre.

Ce qui m’intéresse ici, c'est le film. L'objet artistique. La matière. Loin des instrumentalisations et des récupérations. D'un camp comme de l'autre.

J'accuse, en 2019, est un film essentiel. Un film académique et grandiloquent, porté par des acteurs de théâtre, des acteurs qui JOUENT, sans jamais subir les artifices du cinéma contemporain, qui plus est dans un tel déluge de décor et de costumes. Un film académique, ce n'est pas un défaut. Il s'agit d'un défaut lorsque les américains s'emparent du mot et formatent une histoire pour la rendre au goût de tous et viser des prix de fin d'année. Genre historique et biopic rimant souvent avec statuettes. J'accuse a ce souffle et cette beauté des grandes productions des années 60 lorsqu'on avait l'ambition de raconter des histoires et que l'on s'en donnait les moyens. J'accuse aborde l'affaire Dreyfus sous l'angle anglo-saxon du film d'espionnage, la faute à l'excellent roman de Robert Harris, auteur de Fatherland, une de mes uchronies favorites. J'accuse prend le parti pris risqué "d'oublier" la victime pendant une large partie du film, même si un film sur les années sur l'île du Diable et la correspondance avec sa femme serait sans aucun doute d'utilité publique et cinématographique. J'accuse, c'est Jean Dujardin à son paroxysme, sans doute actuellement l'acteur français capable du plus grand écart, jonglant entre comédies navrantes et rôle dramatique habité. Les acteurs comiques ne sont jamais aussi bons que lorsqu'il tourne des drames, de Coluche au duo Timsit-Chabat du Cousin. Tout en détermination et en retenue, toujours prêt à exploser contre un système dont il est le rouage le mieux huilé, Dujardin/Picquart fouine, gratte, attaque et se défend avec verbe et fracas. La bande originale est magistrale. Martiale et romanesque, oppressante jusqu'à la dernière secondes des crédits. Alexandre Desplat. Encore lui. Sans doute le meilleur compositeur en activité. Le casting du film, toute moustache dehors, pue le génie. Grégory Gadebois est exceptionnel et mériterait un César du meilleur second rôle qu'il n'aura pas, Polanski Gate oblige. Louis Garrel est méconnaissable en Dreyfus éreinté et bouillant, premier de la classe tête à claque et victime expiatoire. Hervé Pierre et Vincent Grass en généraux renfrognés et droit dans leurs bottes. J'accuse est donc indépendamment des problèmes de justice de son auteur, un film d'une vitalité folle (Polanski a 86 ans, ahurissant), sans doute le meilleur film du franco-polonais (français si on croit en la présomption d'innocence et polonais si c'est un délinquant sexuel) depuis le Pianiste et le mieux écrit depuis Chinatown. Peut-être me lirez-vous dans quelques dizaines d'années faire la critique d'un biopic de Polanski. Un homme ambigu au destin tragique qui aura embrassé et embrasé son époque: rescapé du ghetto de Varsovie, victime du fait divers le plus sordide et violent des 60's, accusé de viols. Un grand huit du XXème siècle. Un destin hallucinant qui fascine détracteurs et cinéphiles, ménagères et politiques, lyncheurs et gestapistes.