jeudi 24 octobre 2019

Joker de Todd Phillips (CRITIQUE)


Une fois hype, buzz et hystérie collective retombés, je suis allé voir le Joker de Todd Phillips et surtout celui de Joaquin Phoenix, meilleur acteur en activité. Bien malin que ce petit numéro de Warner, essoufflé par sa vaine course effrénée pour rattraper le mastodonte étiquetée Marvel Cinématographique Univers, ce numéro qui consiste à stopper la surenchère des hommes en slip pour se recentrer vers le personnage principal. Même si les billets verts ont plu pour WonderWoman ou Aquaman, les adaptations récentes étaient assez catastrophiques. Il existe pourtant chez DC Comics des œuvres noires n'attendant qu'un bon script, des Elseworlds magnifiques (quelqu'un a les couilles de porter Red Son, non, des couilles ici ou là??). Se recentrer sur la Némésis de Batman, sur le meilleur antagoniste du monde du comics et narrer sa genèse, voilà une idée qui avait des couilles. Surtout après Jack et surtout Heath, après la noire trilogie de Nolan. Ledger dont l'interprétation, suicide oblige, est et restera désormais culte toute auréolée de sa légende noire. Confier le tout à Todd Phillips, spécialiste du rire outrancier (Borat, les Very bad Trip) ou du ricanement nerveux (A star is born), n'avait rien de rassurant. Et pourtant, le film est frappé par une sorte de grâce. Tout est sur le fil du rasoir. On pourrait tomber dans le déjà-vu, la surenchère ou la pathos mais les ruptures de ton défilent et évitent à chaque fois l'accident. Joaquin Phoenix est hallucinant et signe une performance physique démente, où se mêlent les défis physiques de Bale, les ruptures de ton de DiCaprio et l'incandescente folie de l’œil de Daniel Day-Lewis. Phillips aussi a ses intentions étalées ici ou là: évidemment le film est scorsesien et il n'y a quasiment aucun plan urbain sans taxi jaune dans le cadre. La carrière ratée de comique de Fleck et la présence un brin pataude de De Niro convoquent La Valse des Pantins. La Gotham aux bords des émeutes renvoie tant aux Gangs of New-York qu'à la trilogie de Nolan. J'ai aussi pensé à Shyamalan pour cette ville opaque et organique dans laquelle évoluent des héros et vilains en devenir comme dans Incassable et ses fausses suites. Phoenix, que tout le monde voit filer vers l'Oscar après son prix vénitien, est un Arthur Fleck extraordinaire avant de s'accomplir en Joker psychopathe et mélomane, efféminé et leader anarchiste. Le meilleur Joker que l'on ait vu. Nicholson ou Ledger n'avaient de toute façon aucune chance: le rôle est ici bien plus étoffé, bien plus profond, jouant sur de multiples registres: la comédie, la tragédie, le physique, l'introspection. Joker est film qui secoue la cage, un film qui agite, un film qui rassemble les gens en salle et qui fait débat relançant l’éternel débat de la violence à l'écran, de la violence glorifiée du vigilante. Joker méprise les riches et les bien-pensants, les Thomas Wayne, les distributeurs de brioches pour le peuple. Joker est un malade, un fou, un chien errant battu par le système, un chien qui ronge sa laisse et qui vise désormais le mollet du maître. Joker c'est Vol au-dessus d'un nid de coucous par Cassavetes. C'est un film que vous ne méritez pas et que vous vous prenez en pleine gueule. 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire